Montrer patte blanche à la frontière américaine

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Par Me Micheline Dessureault | Qu’on se le dise une fois pour toutes, les États-Unis est un pays souverain. Par conséquence, quand toute personne s’y rend, particulièrement dans un contexte d’affaires, encore faut-il qu’elle soit admissible et que les tâches qu’elle y accomplira soient permises en vertu des lois américaines.

Il devient donc essentiel que les employeurs et leurs employés désireux de se rendre aux États-Unis soient bien préparés, bien documentés et présentent « patte blanche ».

À l’heure où un vent de protectionnisme et de tumulte commercial affecte les relations canado-américaines, et même en présence d’une ratification à venir du nouvel Accord États-Unis Mexique Canada (AEUMC-USMCA) faisant suite à l’ALENA (NAFTA), l’heure est désormais révolue où on se présentait à la frontière ou à l’aéroport sans aucune documentation justifiant les raisons de son passage, documentation que les officiers d’immigration sont en droit de demander, bien qu’ils ne le fassent pas toujours.

Il faut se rappeler que d’être admis à entrer aux États-Unis est un privilège que le pays accorde et que les officiers exercent leur discrétion dans l’application des lois, à la lumière des faits qu’ils constatent. En vous laissant passer sur simple échange de questions et de réponses, un officier a alors exercé sa discrétion, en déterminant, dans les quelques secondes ou minutes de discussion avec vous, que vous êtes admissible, pour l’entrée spécifique que vous faites ce jour-là. L’officier aurait pu cependant exiger des preuves écrites et voire même refuser l’entrée pour cette raison spécifique.

La documentation à l’appui de la demande d’entrée du personnel des entreprises canadiennes est souvent inexistante, mal faite ou est préparée alors que le cas visé ne donne carrément pas ouverture au droit d’entrer aux États-Unis, comme par exemple une réparation à un équipement canadien vendu à un client américain après la période de fin de la garantie. Une simple lettre ne suffit pas dans tous les cas, des visas spécifiques pouvant être requis.

Mais il y a aussi toute la question de la personne elle-même, dont sa citoyenneté. Les résidents permanents (donc non encore citoyens canadiens) sont considérés de la nationalité de leur pays d’origine par les États-Unis et peuvent donc être assujettis à l’obligation de tout d’abord obtenir un visa au consulat américain, les conditions variant en fonction de la nationalité.

Il y a aussi l’existence d’un casier criminel ou pardon possible. Il est essentiel de demander à l’employé, au moment de son embauche, s’il a un casier judiciaire ou a obtenu un pardon des autorités canadiennes, à la condition cependant que des voyages d’affaires aux États-Unis fassent partie de ses responsabilités auprès de l’employeur. L’employé doit aussi vous aviser en cours d’emploi. S’il y a eu pardon, un tel casier n’apparaitrait plus sur les fichiers publics canadiens, mais cette information semble demeurer disponible aux autorités américaines qui ne reconnaissent pas le pardon et fait en sorte que l’employé pourrait ne pas être admissible, en fonction du type et du nombre d’infractions. L’employeur doit donc avoir l’heure juste à cet égard de la part de son employé, de façon à évaluer si celui-ci sera admissible ou non en fonction du type et du nombre d’infractions. Certaines n’empêcheront normalement pas l’admissibilité de l’employé pour ce seul motif. Mais l’employé devra avoir avec lui la documentation relative à sa condamnation, en anglais pour être comprise de l’officier, et se devra de répondre dans l’affirmative aux questions « Avez-vous déjà été arrêté ou accusé d’une infraction criminelle? ».

Et maintenant la fameuse légalisation du cannabis le 17 octobre prochain. Rappelons que même avec la légalisation du cannabis au Canada et dans certains états américains, il demeure interdit et illégal d’entrer aux États-Unis avec du cannabis. Les entreprises canadiennes devront donc bien rappeler ceci à leurs employés, car un « restant de petit joint » dans une poche, la voiture ou une valise ne passe pas et attirera donc de gros ennuis à cet employé.

Les juristes tant canadiens qu’américains semblent divisés quant à savoir s’il sera légal et justifié pour les officiers de demander à la personne désirant entrer aux États-Unis s’il elle consommait du cannabis avant le 17 octobre 2018, car pour en avoir consommé, c’est donc que la personne était en possession de cannabis, ce qui est une infraction criminelle (Ps : oublions la question des fins médicinales dans le présent contexte). Nous croyons qu’il y aura sans doute une période de gris et de possibles façons de faire non harmonisées à la frontière, du moins dans les premières semaines et mois suivant la légalisation du cannabis. En passant, il serait tout aussi illégal pour vos employés de ramener du cannabis au Canada.

Autre problématique affectant le passage des employés: les fouilles du contenu de leur ordinateur, tablette ou téléphone intelligent et leur possible saisie temporaire. L’officier à la frontière peut demander à un individu d’ouvrir son appareil, de fournir les mots de passe nécessaires, mais aussi plus récemment les codes d’accès aux comptes de réseaux sociaux personnels de l’individu se présentant à la frontière. Des directives des autorités frontalières américaines ont été récemment mises en place pour encadrer le travail de leurs officiers à ces sujets.

En demandant à avoir ces mots de passe, l’officier peut alors faire des vérifications diverses, dont quant à la véracité des faits supportant la demande d’entrée, tout comme tenter de voir si l’individu ne serait pas autrement non-admissible. Un courriel retracé du client américain disant que l’employé est attendu pour venir faire la réparation d’un équipement, alors que l’employé dit se rendre à une foire commerciale ou encore s’en aller en vacances, permet ainsi aux autorités de prouver qu’une fausse déclaration leur a été faite, leur permettant non seulement de refuser l’entrée de l’individu à cette occasion mais également d’interdire l’entrée pour plusieurs années pour fausses déclarations, en fichant l’individu.

Mais au-delà de cela, ceci veut aussi dire accès possible par les autorités à des informations confidentielles concernant l’entreprise ou encore ses clients. Il est donc recommandé, dans la mesure du possible, de laisser ses appareils à la maison, ce qui, aujourd’hui, ne semble pas évident et encore moins dans un contexte commercial!

Ce type de demandes a donc fait aussi couler beaucoup d’encre auprès des journalistes et la communauté juridique. L’Office du Commissaire à la vie privée du Canada a d’ailleurs mis à jour ses lignes directrices afin de mettre en garde les canadiens contre le fait que leurs appareils peuvent effectivement être fouillés, tant par les autorités migratoires américaines qu’au retour par les canadiennes. Mais au-delà de ce que les juristes ou la presse en diront, la réalité est que de refuser de se conformer à ces demandes entraine généralement un refus d’admission de la part des autorités frontalières américaines.

Il est donc impératif pour chaque entreprise de prendre un peu de temps pour dûment valider avec des avocats spécialisés, les critères et conditions applicables au passage à la frontière de son personnel ayant à se déplacer aux États-Unis. L’ignorance n’est pas une défense et les fausses représentations sont une grave infraction qui suivra la personne pour le reste de ses jours, tout comme l’entreprise. Les entreprises et leur personnel doivent montrer patte blanche aux autorités frontalières. Il faut donc s’informer, mettre en place des lettres types devant être actualisées pour chaque déplacement, ou, selon le cas, des visas spécifiques. Certains employés ne seront pas admissibles, certaines tâches envisagées ne seront pas permises. Autant s’informer avant d’avoir signé le contrat avec le client!

Notre cabinet, présent à l’international grâce à nos partenariats de cabinets d’avocats présents dans près de 70 pays à travers le monde, est à même de vous accompagner dans vos démarches d’expansion sur le marché américain et à l’international.

© 2018, Me Micheline Dessureault
Avocate et agent de marques de commerce
Directrice des départements de propriété intellectuelle et affaires internationales
micheline.dessureault@jolicoeurlacasse.com

 

 

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